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Chroniques
Alexander von Zemlinsky
Der König Kandaules | Le roi Candaule
En 1996, l'Opéra de Hambourg créait enfin le dernier opéra d’Alexander von Zemlinsky, dont la composition fut entreprise au printemps 1935 à partir de la pièce d'André Gide, Le Roi Candaule, et vite interrompue par la fuite du musicien vers l'Amérique, la montée du nazisme à Vienne devenant menaçante pour un artiste traitant certains sujet –son précédent ouvrage, Der Kreiderkreis, fut vite interdit – et Juif de surcroît. Achevé par Anthony Beaumont, l'œuvre connut cette naissance tardive grâce à la mise en scène de Günter Krämer, la direction musicale étant confiée à Gerhardt Albrecht. Six ans plus tard, s'appuyant sur les sculptures d’Alfred Hrdlicka, Christine Mielitz signait pour le Festival de Salzbourg une nouvelle production, dirigée par Kent Nagano à la tête du Deutsche Sinfonieorchester Berlin. Fidèle à sa vocation, le label Andante publie aujourd'hui un fort beau témoignage de ces représentations autrichiennes.
On le sait : les enregistrements live sont irremplaçables pour apprécier véritablement les qualités d'un artiste. Ainsi celui-ci offre-t-il l'occasion de goûter fidèlement celles des chanteurs formant le trio de tête de l'ouvrage, à commencer par le rôle-titre, König Kandaules, tenu par Robert Brubaker. Pour commencer moins vaillant que d'habitude, le ténor américain affirme une expressivité bouleversante qui, une fois la voix chauffée, libère un timbre présent (à partir de la fin de la plage 5 du 1er CD). Le désarroi d'un personnage obsédé par le regard des autres hante son chant, jusqu'au dénouement terrible de cette fable philosophique. Le Gyges de Wolfgang Schöne s'avère très sonore, avec une diction musclée et presque laborieuse qui rend parfaitement compte de la rusticité d'un homme au caractère d'une seule pièce, d'autant rendu crédible par un timbre corsé. Le récit qu'il fait de l'incendie est saisissant, et l'évidence du meurtre de Trydo, sa femme, ne put manquer de le rendre attachant, malgré sa brutalité, face à l'univers mensonger des courtisans. Enfin, Nina Stemme sert Nyssia d'un timbre chaleureux à l'impact vocal généreux, conduisant un phrasé d'une grande classe ; cette voix a la chair idéale au rôle, achevant le deuxième acte dans une grande suavité, bien qu'on remarque parfois quelques soucis sur les attaques aiguës piano. Le revirement absolu de la situation s'entend dans son chant : d'innocente, soumise et voilée, elle devient pour finir volontaire, autoritaire et même cynique. Dans la cour de Kandaules, on signalera la voix présente au timbre ténébreux du Phedros de Mel Ulrich, le confort d'écoute offert par Almas Svilpa en Archelaos, et la vaillance du Syphax de John Nuzzo.
La partition de Zemlinsky, dont le début peut faire penser à la Symphonie n°2 de Mahler comme à Elektra, se différencie largement de la musique de Richard Strauss ; de fait, son prétexte se trouve bienheureusement privé des vulgarités chères au Bavarois. Ce conte moral s'avère plus proche des univers poétiques et sonores de Schreker et Korngold, le merveilleux se lovant dans la richesse des alliages orchestraux. Kent Nagano en affirme magnifiquement la dangereuse suavité, implicitement chargée d'angoisse, suivant pas à pas la dramaturgie – on citera pour exemple, entre autres, la tendre mélopée de cordes qui introduit sournoisement le duo royal de la troisième scène de l'Acte I. Outre les qualités ici énoncées qui le rendent indispensable, ce coffret préparera efficacement le mélomane aux représentations nancéiennes de l’opéra de Zemlinsky, prévues dans la saison 2005/2006.
BB